Le Noël de Don Juan

 imagesDon Juan sortit de l’auberge illuminée où il avait chaudement savoureusement soupé. La servante, heureuse des pourboires et des œillades du beau voyageur, le suivit jusqu’à la porte, et malgré la nuit et le froid, de bout sur le seuil clair qui se découpait, rose, dans l’ombre, le regarda longuement s’éloigner dans la rue blanchie de neige. Il marchait lentement, et flânait comme s’il n’avait pas eu froid, vêtus de couleurs sombres et veloutées, et tout noir sur le décor blanc, il s’en allait, souple, vers ses aventures nouvelles, félin d’une espèce rare, laid ou beau, on ne savait pas, mais de telle sorte que les rêves des femmes et des filles s’accrochaient à lui invisiblement et le paraient de magie; il était le porteur des illusions, des folies, des sortilèges, des joies et des désastres, le « faiseur de souvenirs » comme il y a des faiseurs de tours. Et, de tous ces souvenirs passés et futurs il était paré, habillé, illuminé, à tous les yeux des amoureuses; il avait l’air innocent d’un chat qui s’étire au bord d’un toit nocturne, ou d’un enfant qui met le feu sans le savoir; et aussi à son aise sous tant d’amour que le ramoneur sous sa suie et sa fumée, étant un jeune homme nommé Don Juan, comme un autre peut s’appeler Pierre et ne sachant pas encore qu’il serait ce don Juan.

             Il suivait les rues éclairées par les boutiques et les fenêtres dont on n’avait pas poussé les volets. Car c’était fête et dans toutes les demeures on attendait les cloches et la Messe de minuit et on préparait le réveillon. Certains marchands avaient allumé des globes colorés et des  chandelles  à  leurs  étalages  pour offrir une suprême tentation aux acheteurs nocturnes par leurs friandises, leurs sucreries de toutes les couleurs et leurs jouets, leurs petits Jésus de cire rose souriant  dans des crèches, des bœufs et des a^nes de bois peints se pressaient près des poupées savoyardes. Les bijoutiers montraient leurs chaînes d’or, leurs montres, leurs colliers, leurs bagues modestes, et les pâtissiers, et les marchands de fromages et de charcuterie offraient des succulences variées.

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L’ermite , le chat noir et le goéland

                    Dans son pèlerinage breton, après St Pol de Léon, l’ermite fit halte sur l’île de Kalhot, dans une petite baraque de pêcheur, au bord d’une petite crique où dansait l’océan. Seul avec ce porteur d’infini qui avait bercé son enfance et dont le ressac des flots sur le sable lui laissait en souvenir comme une écume de nostalgie. Ce n’était pas les silences sifflants et soyeux des Cévennes mais celui, tonique et iodé, porté par le vent du large, tantôt berceur mais plus souvent hurlant et menaçant. Cet été là tout était en gloire solaire dans le grand bleu des cieux et la violence se nichait ailleurs.

                  L’ami prêteur du logement était un artiste peintre connu et reconnu, qui lui avait laissé provision de papiers et de fusains afin que son hôte s’exerça au dessin. Frère Grégoire, fasciné par la silhouette des mouettes qui volaient en rase motte  au-dessus de sa tête, scribouilla des mouvements d’ailes, puis des petits arcs de crânes et de becs et enfin des pattes, soit repliées pour le vol, soit desserrant leurs serres pour saisir au ras des flots. Frère Grégoire avait d’abord cru que cet oiseau se nourrissait exclusivement de poissons mais la patience de ses observations lui fit noter qu’il n’en était rien puisque le volatile, au cri perçant, n’hésitait pas à fouiller largement les poubelles. Encore un dictionnaire pris en faute :

              « Oiseau palmipède piscivore … »

mais livrant aussi un bout de vérité : « blanc, à plumage dorsal gris », puisqu’il l’avait pris pour une mouette qui, elle, est plus petite et entièrement blanche. Le goéland donc de Frère Grégoire, qui posait pour lui sans le savoir, avait l’habitude de se poser sur le conduit extérieur au-dessus du toit qu’il souillait de ses excréments blanchâtres, semés de pointes noires. Plutôt ému par son élégance originale, le goéland avait fini par irriter l’ermite par ses criaillements et surtout sa voracité de prédateur, ce qui n’empêchait pas l’apprenti de le traquer par le fusain, sur le papier et même dans ses songes marins. Sur le toit, pourtant il continuait son tapage malgré les jets de galets maladroits que le Frère essayait de lui jeter pour le dégoûter de son habitacle, tout en ayant la cruelle tentation de se fabriquer une fronde.

            Ce jour-là, le soleil était à peu près au zénith, lorsque Grégoire, assis sur l’herbe encore verte, dos à l’océan, observant l’oiseau piétinant l’embout de  la cheminée, fut saisi par une scène à la fois si réaliste et si symbolique. Le chat noir du voisin s’étant glissé à l’intérieur du conduit de la cheminée, venait de lâcher ses griffes blanches sur les pattes du goéland pour l’empêcher de s’envoler et s’agripper a son ventre blanc dont les plumes commençaient à voleter dans le vent. La bataille fit rage, le blanc s’emmêlant dans le noir et le noir dans le blanc. Grégoire pensa au combat de Jacob contre l’ange, tout en voyant bien que si Lumières et Ténèbres faisaient partie clairement de la figuration, ces animaux ne participaient pas pour autant au dualisme réducteur qui sépare les mondes en tout bons et tout méchants. N’ayant peut-être pas la tête assez philosophique ou théologique, l’ermite se rappela que l’éminent peintre, qui lui avait accordé son hospitalité sans souci aucun de religion, lui avait fait remarquer que ni le noir, ni le blanc n’étaient des couleurs :

                  – J’ai compris ce qui manque dans ce furieux combat, là-haut, si loin des cieux !

               Alors appuyant mieux son regard sur la bataille éprouvant le toit de son petit monde, il surprit enfin, au milieu du tourniquet des plumes blanches et des poils noirs arrachés au félin, sur le ventre du goéland, alors qu’il n’y avait encore ni vainqueur ni vaincu, le prix de l’empoignade et sans doute de la victoire annoncée : ce qui aurait manqué au tableau, quelques gouttes de sang.

L’ermite et la dame blanche

Un seul parmi les paysans des environs avait osé demander à l’ermite s’il n’avait pas peur, tout seul, ainsi trop isolé, mais Frère Grégoire n’avait pas peur et de quoi aurait-il pu avoir peur :

          – Pas peur d’être attaqué par un rodeur ?

          – Mais, mon bon Père Gaspard, qui voulez vous qui vienne rôder par ici ?

         En fait, l’interlocuteur ne s’était pas risqué à poser la question des fantômes, parce que selon la tradition des rumeurs s’attachant aux spectres, ceux-ci ne sont censés hanter que les demeures ayant été habitées par des êtres humains, aujourd’hui disparus. Cela ne peut être le cas d’une bergerie n’ayant abrité que passagèrement des brebis et leur berger. Sauf peut-être si ce dernier était mort sous le toit de l’abri de ses bêtes … Comment ? En défendant, par exemple, ses moutons contre le loup. Frère Grégoire avait assez d’imagination pour s’inventer une histoire sur ce thème tragique et si pastoral mais il ne s’était jamais enquis de fantômes.

          Pourtant, un beau jour ou peut-être une nuit, il dut méditer sur la question, ayant reçu un courrier d’une châtelaine voisine :

        « Pardonnez moi, mon Frère, de vous importuner par cette lettre mais j’ai pensé qu’elle vous causerait moins de gêne qu’une visite impromptue. Mon sujet va vous paraître sans doute ridicule mais ma robuste foi est mise à l’épreuve, non plus par la rumeur transmise de génération en génération selon laquelle notre château du Champ serait hanté par une certaine Dame blanche, ainsi nommée parce que l’aïeule qui l’aurait aperçue l’a décrite comme une forme féminine vêtue d’une sorte de tunique blanche. Pardonnez-moi mais je me suis mal exprimée : ce n’est pas ma foi qui est ébranlée mais plutôt ma rationalité, car selon la foi, non seulement nous croyons dans l’invisible mais les morts demeurent des « vivants ». Je n’ai encore rien vu, ni forme, ni vision spectrale et je n’en rêve même pas mais j’ai peu d’avoir, un jour, la crainte de croiser cette inconnue dans la nuit. Elle monte jusqu’à la chambre où j’habite par l’escalier de la tour nord et serait censée passer devant la cheminée Renaissance de mon logis. Bien sûr, je ne l’ai jamais guettée mais comme une petite obsession subtile et furtive me gagne chaque année davantage, lorsque je séjourne ici l’été.

          Ma question est simple : puis-je prier pour chasser cette tentation de peur ? »

        L’ermite se dit que chacune et chacun avait ses tentations à sa mesure et à sa portée et que la tentation, en soi, à moins qu’elle fut vraiment éprouvante, était un signe de santé spirituelle et psychologique. Pas de quoi fouetter un chat ! Si elle veut prier, après tout, cela ne peut pas lui faire du mal … à moins que …à moins que cela n’entraine une manière de superstition qui la rende compulsive ?

        Les propos de Frère Grégoire ronronnaient doucement dans sa tête, au coin du feu, de telle sorte qu’il s’endormit et rêva. Comme des bruits de pas, au-dessus de lui, sur le plancher de l’étage supérieur, le réveillèrent en sursaut, le précipitant un instant dans l’hypothèse du fantôme qu’il chassa d’un revers de pensée :

        – Suis-je bien niais, ce n’est que le chat ! ah ! du coup, je sais ce que je vais répondre à la châtelaine !

Il prit sa plume :

« chère Madame,

                               la tradition rurale de mon coin m’a rapporté qu’il est un animal qui chasse les souris, les mulots, les lézards et même certains rats, sinon les loirs, les gélinottes ou les fouines, mais aussi les fantômes : c’est le chat ! Vous pouvez prier, certes, mais le chat ne serait pas de trop. »

 Un mois plus tard, l’ermite reçut cette réponse :

 « Mon frère,

                    votre foi est grande mais votre humour ne manque pas de sel (on dit que vous êtes breton d’origine ? ). En tout cas, j’ai suivi vos conseils et les rongeurs ne me persécutent plus . Surtout ceux qui rongent les vieilles noix dans leurs cervelles. » 

Nouvelle tentation du cénobite :

 – Tiens ! Si je recevais du courrier plus souvent … ?

L’ermite et le loup

        Michel, le voisin, à quinze kilomètres de l’ermitage, respectait particulièrement la solitude de Frère Grégoire de telle sorte que lorsqu’il apparut , un beau matin, au soleil levant, l’ermite en fut tout surpris :

         – Salut, Michel archange, quelle nouvelle te conduit jusqu’à moi ? Vas-tu bien ?

       – Oh ! Pas plus … mais je viens te dire qu’il y a plus que des rumeurs …

      – Je suis loin des rumeurs, ici …qu’en ai-je à faire ?

      Les deux compères s’assirent à l’ombre sous l’érable pour boire un verre d’eau fraiche car le soleil d’août faisait déjà  craquer les cosses des genêts rétrécis par la chaleur.

       – Cette fois, c’est du sérieux : ne rigole pas, l’ermite ! C’est plus que des rumeurs …D’abord des rumeurs cela n’égorge pas quinze bêtes en une nuit

         – Peut-être des chiens errants ?

        – Mais moi, je l’ai vu , là-haut, sur ton chemin, à cinquante mètres de ta giasse …

        – Et qu’as-tu donc vu ?

        – Mais le loup, pardi !

       – Chez moi ?

      – Chez toi, passant ou restant, je ne sais.

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L’ermite et le chat-lynx

 

               La rumeur avait déjà fait des ravages au sujet du retour du loup, lorsqu’un berger sur le Mont Lozère commença à raconter non pas qu’il avait vu – car on ne le voit jamais ! -, mais laissait à entendre qu’il y avait une autre espèce que celle du chat sauvage, qui ne s’attaquait pas aux brebis, mais comme un félin plus considérable, habile et dangereux, qui, lui, pouvait saigner un agnelet, un blanc-bec de mouton, innocent et gracile, voire terroriser un troupeau entier. L’ermite savait d’où venaient les grondements humains sur le loup, puisqu’on l’avait même situé au voisinage de l’ermitage mais qui avait bien pu lancer cette histoire de monstre félin ? Un mauvais drôle qui n’aimait pas les chats ? Frère Grégoire aimait les chats mais s’était défendu jusqu’à présent de s’en faire un compagnon de solitude et de fortune. Certes, le chat était ignoré des écrivains de la Bible, sans doute parce qu’il avait été l’idole des Egyptiens et que les rats n’étaient pas assez menaçants pour les réserves à blé des Hébreux ; peut-être aussi que sa langueur et sa volupté effrayaient les prêcheurs d’austérité et de pénitence, réservant l’usage du sexe à la seule fécondité. Ne sachant guère le vrai « pourquoi » de cette absence, le Frère essayait de ne pas trop fantasmer sur les qualités heureuses ou malheureuses du félidé , reportant sur la présence invisible mystérieuse de la nouvelle terreur des Cévennes  ses désirs cachés sur l’appréhension : celle , frémissante, du lynx !

           Bien sûr, comme tout le monde, n’en n’ayant jamais vu, il l’imaginait d’autant plus merveilleusement que l’angoisse excitait la représentation imaginaire par des traits saisissants : la beauté qui fascine, la lueur du danger dans des yeux forcément perçants, la souplesse et l’agilité qui permet la surprise, la prise et la disparition dans les ténèbres. Le lynx avait toutes les  vertus qui forcent l’admiration et la crainte. Satan savait bien se camoufler en ange de Lumière, ou la Lumière se masquer de noirceur, alors pourquoi pas avec cet animal mythique ? L’ermite en rêvait, lorsqu’un jour son voisin le plus proche, un ouvrier maçon portugais, qui habitait, à quelques kilomètres au sud, à mi-pente des Gorges, se présenta sans prévenir jusqu’à lui, portant à bout de bras un panier d’osier :

              – Holà !mon Frère, dit-il, en chuintant et rigolant, j’ai pensé à vous parce que j’ai eu de la visite hier : un chat ! Et vous m’aviez parlé de vos petits mulots qui causaient du dégât dans la maison …Voici la terreur des souris : un petit lynx !

          Et Antonio me sortit un ravissant minet tigré aux oreilles si effilées qu’elles évoquaient le maître secret des forêts et des taillis, plus fort et présent que le loup vulgaire des légendes populaires.

          Tilynx fit bon ménage avec l’ermite et ravage dans toute la gens souricière. Pas un petit minois de souriceau n’en réchappa. Et puis, il ronronnait si doucement au coin du feu.

L’ermite et la roche du Dépressif

        Un ermite peut-il devenir dépressif ? Frère Grégoire ne s’était jamais posé la question jusqu’à ce que …

         Non, il n’était pas encore passé par cette épreuve mais il savait ,au moins par la tradition biblique, non seulement que nul n’était épargné par ce fléau mais que par les exemples d’Elie et de Saül ceux qui étaient dans la jalousie ou le prurit du pouvoir, ou bien dans la solitude due à la fuite, pouvaient être atteints et même aller jusqu’au gouffre du néant.

        Face au sud de sa bergerie-ermitage, le Frère avait une sorte de terre plein de quelques arpents qui se terminait par un petit regroupement de rochers amoncelés, monticule impressionnant dominé par la plus grosse roche, comme en suspens au-dessus du ravin plongeant. Du fond des gorges, quand on regardait vers le haut, cette roche était surnommée par les paysans du lieu « La dent ». C’était un perchoir admirable pour contempler la profondeur des ravinements, voir s’abîmer dans la contemplation du bel ouvrage du Créateur.

     Cet été-là, Grégoire avait accueilli pour quelques jours de retraite un jeune homme qui souffrait cruellement de la trahison de sa petite amie ; il endurait tant et si passivement qu’il allait passer de longues heures sur cette Roche et qu’à son retour l’ermite le voyait encore plus tourmenté qu’apaisé. Il se souvenait vaguement d’avoir appris qu’il existait sur le Capitole à Rome une éminence rocheuse d’où l’on précipitait les criminels :

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L’ermite, le rouge-gorge et le chat noir

          Premières lueurs sur l’océan, depuis le campement, sous le pin joli qui résiste aux vents, l’ermite jouit des aubes opalines, si recueilli qu’on le croirait sculpté dans le granite.

       Un gentil rouge-gorge vint se percher à trois bras de lui sur l’accoudoir d’un fauteuil vide. Au premier plan, Grégoire, au deuxième l’oiseau à la gorge rouge et dans le fond de la toile, les eaux vertes et les cieux oscillants entre la jade et les bleus gris. L’oiseau regarde l’ermite dont les yeux ont quitté les horizons presqu’infinis et dont l’oreille s’affûte pour guetter la chanson. Ce  que l’homme solitaire ne sait pas encore c’est que le petit chanteur ailé voudrait l’entendre chanter, lui, le cénobite étrange dont la réputation a été portée par toutes sortes d’oiseaux depuis les Cévennes jusqu’aux côtes bretonnes. La rumeur a été portée à grands coups l’ailes et de cris et de glossolalies :

                 – Grégoire chante tout seul là-haut dans la montagne ! Il fait ramage, il fait tapage pour la plus grande gloire de Dieu ! claquette la cigogne à laquelle répond le corbeau  :

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L’ermite et le lupin

Frère Grégoire continuait son pèlerinage en Bretagne Nord depuis Saint-Malo, longeant la côte à marée basse jusqu’à la baie de Rotheneuf où, quand la nuit fut venue, il dressa son campement sur la plage. La marée montait doucement à tout petits coups de menus clapotis chantant comme des lèvres créoles. Il se déshabilla, marcha sous la lune vers les flots doux et pénétra dans les eaux fraiches. Ayant perdu pieds sous les sables, il nagea, nagea lentement, comme en écartant de lumineuses ténèbres et fit la planche, les yeux perdus à scruter les mystères de la voûte céleste :

                     – Todo y nada … De noche … murmurait-il, et soudain se redressa pour piquer un crawl, en criant : – Un jour, jusqu’à Compostelle !

                   C’est de là que lui vint l’illumination de partir faire le « chemin de Saint-Jacques ». En attendant il fit benoîtement retour sur la grève, souffla sur son feu de camp pour prier, veiller et dormir. Hélas ! le sommeil ne le surprit pas dans ses délires imaginaires. Pourquoi ? Rêvait-il par trop d’un départ pour Saint-Jacques ? S’inquiétait-il de son chemin pour le lendemain ? Aurait-il assez de provisions, d’argent dans sa poche, sans avoir encore à mendier ? Non.  Sa question était à la fois plus banale et toutefois originale :

                  – Quel est le nom de cette plage qui m’abrite ?

                Issu de son sac de couchage molletonné, il consulta d’abord sa carte d’état-major, sans y rien trouver, sauf le nom de la pointe d’où il venait et celui de l’île qui lui faisait face. Recours à internet sur son téléphone : rien ! Il sortit de son petit campement de fortune pour remonter à tâtons – la lune, lasse d’attendre ou bien bercée par ses prières , s’était couchée ! – vers le haut, là où les sables ne recouvraient plus les rochers pour  tirer les visiteurs vers la sortie, lorsqu’il aperçut une pancarte métallique pour les touristes sur la quelle il put déchiffrer l’inscription : Plage du lupin .

              Piqué de curiosité, frère Grégoire chercha minutieusement aux pieds de tous les parapets de granite qui protégeaient les soubassements des murs des jardins précédant les grasses villas balnéaires, les fleurs désirées, convoitées pour leur élégance sinon leur fragrance, leurs couleurs et leurs graciles élancements. Cette fleur ne poussait pas dans les altitudes cévenoles mais l’ermite en avait gardé un souvenir ému, artistique, depuis l’enfance. Il fureta, fouina , respira et soupira : pas plus de lupin que de câlin de la lune ! Il recueillit seulement quelques débris de romarin. Il s’en revint auprès de son feu qu’il n’avait pas manqué d’alimenter de l’odoriférant bois de pin, si joyeux mais peu durable, pour méditer, songeur, lorsqu’il eut comme la prescience d’une présence invisible. Il ne broncha ni ne sourcilla, ayant appris à apprivoiser toutes sortes de silences. Lapin s’avança jusqu’aux bords des braises, continua à faire palpiter ses narines comme si c’était une mécanique mais soudain figea ce petit bout de museau sans cesse en alerte pour regarder l’ermite, lequel, durant ces longues soirées et belles aubes des Cévennes, avait si bien découvert tout un petit peuple animal qu’il savait à présent quelques bribes de leur langage. Lapin disait à sa manière :

             – Tu n’as pas trouvé ce que tu cherchais ? Tu n’oses pas me poser la question : pourquoi pas de lupin ?

              Lapin devina la réponse dans les yeux de l’ermite qui penchait son oreille droite vers le museau poilu et frémissant, lequel lui glissa :

                – Nous, les lapins, on ne mange pas les lupins, qui sont poisons pour nos petits ventres blancs. Nous avons sectionné tous les plants de lupins, à chaque saison, si bien que les riverains lassés ont planté pour nous le délicieux romarin !

Conte de l’ermite breton

L’ermite et la mouette rieuse

         A son réveil, Frère Grégoire se souvint qu’il avait rêvé d’une mouette. Avec un goût de nostalgie et comme un retour d’enfance, car ces oiseaux familiers des côtes bretonnes avaient accompagné de leurs cris stridents et de leurs vols tantôt planants tantôt rasants tous ses longs jours de vacances au bord de l’océan.

        Dans ces hauteurs cévenoles, évidemment il ne risquait pas d’être troublé par ce volatile qui se risque jusqu’à Paris pour faire le charognard dans les décharges publiques, ou plus simplement squatter le toit d’un poissonnier du marché d’Aligre pour piquer sa pitance. En fait, il ne se souvenait plus très bien si dans ses divagations oniriques il s’était agi d’une mouette ou d’un goéland ? Quelles différences ? Sa mémoire faillissait, tout en ayant bien retenu le mot insolite de « mouette rieuse » qui, d’un seul coup, lui fit se demander le pourquoi de « rieuse » :

               – Voyons … voyons : les animaux, dit-on, ne rient pas. Le rire est le propre de l’homme …blablabla et blablabla …Alors une métaphore banale ? Cette mouette là doit lancer un cri, un appel qui ressemble pour l’homme au rire dont il se croit l’unique possesseur. Impossible de vérifier cela dans mes montagnes …Mais est-il si vrai que les oiseaux ne rient pas et … pourquoi ?

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Conte de l’ermite breton

L’ermite et le feu de cheminée

 Ce soir-là, Frère Grégoire n’arrivait pas à allumer son feu rituel, son feu dans la cheminée, et dépité, il remettait du genêt bien sec, lequel flamboyait ardemment sans parvenir à faire prendre les bûches qui fumaient lamentablement avant de s’éteindre en gémissant.

Dépité, pas découragé, l’ermite réfléchissait aux causes de son échec d’autant plus qu’il ne loupait jamais son démarrage de flambée :

            – Mon genêt est bien sec mais il s’épuise avant d’avoir réussi à incendier les rondins .. évidemment, entre les brindilles si inflammatoires et les bûches trop grosses, je n’oublie jamais l’intermédiaire, branches ou moignons de pins de préférence …

            Il savait bien, le petit Frère, toutes les conditions requises, depuis les qualités du bois jusqu’aux vents soufflants qui permettaient ou non l’heureuse inspiration nécessaire. Le mieux était de mélanger les essences d’arbres : un peu de pin pour l’odeur de résine et l’activation du flamboiement, du châtaignier pour faire de la braise et durer jusqu’au petit matin, et puis les résistants comme le chêne seigneurial ou l’orme ou le frêne. Il les reconnaissait presque « à l’aveugle » par leurs seules odeurs et peut-être même par les bruits, les craquements et les bruissements des combustions ancillaires.

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